Joseph Schiano di Lombo
ph. Jonathan Llense
Joseph est un artiste pluridiscipliné basé à Paris. Il prend des selfies avec les vaches sur son Insta @selfies.vaches et a même écrit un album de musique pour les chiens. Il pose avec le chat de sa colocataire.
Ce que je peux dire, avant tout, au sujet de mon rapport aux animaux, c’est que j’ai compris seulement cette année qu’il s’agissait d’une invention. Les animaux n’existent pas. Ça, Jacques Derrida en parle bien dans « L’animal que donc je suis ». Toute la (dé)mesure de la prétendue exception humaine doit beaucoup à ce petit vocable, « animal ». Il désigne seul tous les êtres vivants qui ne sont a priori pas nous — c’est-à-dire pas mal de monde(s) — établissant une balance dans le langage qui ne s’observe pas dans la réalité : l’Homme serait d'un côté, et le reste du vivant de l’autre, du cloporte au colibri, de l’ornithorynque au staphylocoque.
Les sciences humaines, de Donna J. Haraway en passant par Vinciane Despret, l'éco- et le cyber-féminisme, les sciences humaines m'apprennent petit à petit à considérer le chien, le poulpe, le lombric et mon propre nombril avec un angle différent. Je suis au début du chemin, bien sûr, mais chaque jour je plante un repère sur le chemin qui me détache du centre humain. Rien que ce sujet fascinant, la flore intestinale, dit beaucoup de ce que nous sommes en réalité : logé dans un monde, un monde qui loge lui-même un monde. Cet angle force (en douceur) à l’humilité et au respect face à tout ce qui existe.
De là vient sans doute que je suis aussitôt pris de gêne lorsque je m’entends dire ou entends dire « mon chat », « mon chien », aujourd’hui. Je me demande toujours si ce "mon" a le même sens que lorsqu'on dit "mon ami", ou s'il n'a pas plutôt celui de "mon Dyson" ? Quoiqu'on puisse aimer son électroménager, aussi, ou sa Fiat, et d'un amour sans limites… pourquoi pas. Toutes ces questions ne m’empêchent pas d’avoir un rapport léger aux sujets et aux imaginaires (humains, trop humains) que les animaux suscitent. Que je fasse des selfies avec les vaches de ma chère et tendre Savoie ou que j'écrive un album de musique pour chiens ou un roman dans lequel tous les êtres humains ont disparu, laissant la scène libre aux hérons et aux cafards, je suis loin de poser une pierre sur la voie qui nous éloignera de l’anthropocentrisme et d'un monde par trop binaire. Au sujet de l’album pour chien, par exemple : était-ce réellement adressé aux chiens ? La musique, j'en doute. L'imaginaire suscité par le thème ? Encore humain, trop humain. C'était peut-être seulement avec le cœur et quelques petites poignées de frissons que je me suis adressé aux chiens. Ou plutôt à une chienne, une seule, ce qui est déjà beaucoup : un labrador que j’ai aimé.
@joseph.schiano.di.lombo
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